13/03/2009, 13h25
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MARCEL ET BOUFFADOU
Marcel n’a connu qu’une vie, celle de berger. Né en 1923, sa peau tannée par le soleil est fripée comme une pomme trop mûre. Ses yeux sont bleus comme le ciel de son Larzac et aussi vifs que ce climat qu’il a toujours connu et aimer. Son sourire semble éternel et apporte la joie autour de lui. Marcel parle avec douceur presque lentement tout en plongeant ses yeux au fond des vôtres. Appuyé sur un rocher que le temps a érodé, il se fond au paysage aride de son Larzac natal. A ses côtés, aussi tannée que lui, une musette en cuir contient un bout de saucisse faite maison, un morceau de pain qui sent encore le four en pierre et une bouteille verte au verre épais où danse un vin épais. La musette semble dormir, son cuir épousant la forme du rocher où elle repose. Pour aider Marcel, il y a son bâton qu’il garde toujours à la main. Luisant, poli par le temps et patiné par le contact de sa main aimante, il accompagne Marcel depuis si longtemps que sans lui, l’homme est comme amputé. Homme et bâton sont semblables, aussi noueux le corps aussi tordu et des deux, on ne sait plus vraiment lequel aide l’autre dans sa marche. Plus jeune, Marcel en a longtemps travaillé le bois de la pointe de son laguiole. Aujourd’hui, un long serpent enroule son corps sur le bois, installant sa tête triangulaire sous le pommeau du bâton sur lequel le visage d’une femme se devine. Depuis toujours, « Toinette » est là, bien au chaud sous la main de Marcel et partage avec lui ses journées. L’homme, au plus dur de ces heures, parle avec une infinie tendresse à « Toinette », qu’il a sculpté il y a bien longtemps et qui aujourd’hui, bien que n’étant plus à ses côtés, accompagne encore ses pas solitaires. Pour achever le tableau, il faut suivre l’autre main de Marcel discrètement perdu dans le pelage noire et blanc de son chien. « Bouffadou » est là, aux pieds de son maître. Ses yeux noirs brillants de malice, son poil brillant et son éclatante jeunesse le mette un peu en dehors du reste du tableau. Il est comme une pièce rajoutée et pourtant, sans elle, il manquerait un morceau et la vie ne serait pas la même. « Bouffadou » est entré dans la vie de Marcel il y a 2 ans. Il a succédé à Foura, à Mira, à Gentiane et Perlou à Pastrou, à Lagrise et à Bergère. Comme le dit Marcel « les chiens ont la bien fâcheuse habitude de s’en aller avant nous, emportant dans leur sillage un morceau de notre vie ». Bouffadou c’est aujourd’hui toute la fierté de ce berger. Marcel connaît la valeur d’un chien pour l’aider dans son travail. « Quand j’ai commencé j’avais 7 ans, mon père avait un gros troupeau pour l’époque car il avait 47 fèdes. Des brebis rustiques qui passaient le plus clair de leur vie dehors et savaient se contenter de peu. Elles suffisaient à nous faire vivre correctement. Très vite, c’est moi qui ai gardé le troupeau le long des routes et sur les parcours communaux. J’emportais dans ma musette un bout de pain et de lard. J’y glissais aussi discrètement mes cahiers, car mes parents voulaient que j’étudie. A l’époque ils ne voyaient pas l’utilité de ce genre d’apprentissage, pensant que ma place était à la ferme. La chienne de mon père, Bergère, m’aidait dans mon travail et savait parfaitement corriger une bête qui dépassait les limites autorisées. Quand l’orage grondait elle venait se blottir contre moi m’offrant ainsi de sa chaleur et calmant mes angoisses de gosse. Les chiens m’ont toujours parus plus utiles que 5 personnes pour tourner ou faire avancer mon troupeau. Au pays nous avions des chiens à la dent facile et dure. Ils savaient se faire respecter. Aujourd’hui on ne voit presque plus de ces bêtes au poil dur est zébré. Leur pelage était marron marqué de noir. Ce n’étaient pas de mauvais chiens mais ils n’aimaient pas se déplacer pour rien ! Souvent les plaies qu’ils infligeaient étaient longues et difficiles à soigner. J’ai connu beaucoup de bergers qui leur coupaient les crocs ou leur mettaient un mord entre les dents pour les empêcher de fermer la mâchoire, ainsi ils mordaient moins. Je n’ai jamais aimé ces méthodes mais il faut comprendre qu’une bête au gigot abimé n’est plus vendable. J’ai repris l’exploitation de mon père et mon fils m’a fait l’immense bonheur de prendre ma suite. Les temps sont durs et il manque d’argent pour employer quelqu’un et c’est donc moi qui fais le berger. Cette solution me convient bien car je ne pourrais pas me passer du contact de mon troupeau. Que voulez-vous qu’une vieille bête comme moi, aille finir ces jours, dans une maison entourée d’autres vieilles bêtes… Non ! tant que je tiendrais debout je veux être avec mes fédes et marcher au son de leurs sonnailles. Il y a peu de temps, tout a failli s’arrêter pour moi. Mon fils a aujourd’hui 450 brebis et cela suffit tout juste à le faire vivre. Ces bêtes sont capricieuses et demandent des soins constants. Il leur faut toujours mieux que ce que je leur propose à manger. Il y a 2 ans, elles avaient pris l’habitude d’aller manger dans les luzernes, ce qui est très mauvais pour elles. Les garces m’échappaient, sachant très bien que mes jambes m’empêchaient de leur donner la chasse. Le chien qui m’accompagnait n’était pas mauvais mais il ne voulait pas s’écarter de moi, refusant d’aller les chercher… Par plusieurs fois des bêtes me claquèrent après s’être empiffrées de luzerne et le fils grondait tant qu’il pouvait. Aussi un jour, il me dit qu’il en avait marre de ces bergers de pays, bons qu’à mordre et qu’il allait se mettre en quête d’un compagnon qui me soulagerait dans ma besogne. C’est ainsi que Bouffadou est arrivé un bon matin en fin d’hiver. Il était tout petit, noir et blanc . Mon fil très fier de son achat m’expliqua que c’était un border collie et qu’il avait des papiers… Je ne sais pas trop ce que ça veut dire mais j’ai bien compris l’importance de la chose… En fait au début, ce chien n’avait pas de nom et franchement je ne l’aimais pas trop car il n’était pas du pays… Je l’appelais « Le Chien » et il me rendait bien mon indifférence… Pourtant son attitude m’intriguait. Tout petit, quand il était libéré de sa chaîne il filait droit à la bergerie et observait, tête basse les brebis à travers les claies… On aurait dit un tigre, avec ses épaules saillantes et son cul en l’air. Il avait déjà une drôle de démarche mais maintenant j’y suis habitué. Un jour j’ai sorti le troupeau et il a naturellement emboîté le pas aux bêtes. Il était pénible et n’arrêtait pas de tourner autour m’empêchant de faire avancer mes ouailles. Plus je gueulais plus il allait vite, j’ai bien cru que je l’étripais mais encore aurait-il fallu que j’arrive à le rattraper ! Si je criais bien fort, il disparaissait et je me pensais tranquille. Puis le voilà qui revenait à la charge, passant devant les brebis et les arrêtant. A coup de pierres je l’ai fait repartir à la maison, en maudissant mon fils et ces belles idées. Comment un tel chien pourrait un jour garder le troupeau ??? Plus tard, dans l’après midi, ces garces de fèdes ont filé dans une luzerne, au mépris de leur vie. J’avais beau crier elles ne bougeaient pas, se gavant, prêtent à exploser… J’étais là, n’arrivant plus à crier, la bouche pleine de terre et asséchée par le vent quand, « le noir et blanc » pointa son nez. D’où arrivait-il ? Comment a-t-il su ? Comment a-t-il compris ce qu’il fallait faire, je ne le saurais jamais. En quelques secondes, il a fait le tour complet du troupeau, et de sa démarche si bizarre, le cul haut, il a fait sortir tout le monde de la luzerne. De ma vie je n’avais rien vu de pareil. Pas une bête n’avait été laissée en arrière, pas un coup de dent n’avait était donné. Tout avait été si vite, que je n’avais pas eu le temps de crier après le chien pour le faire partir. Et voilà que lui, ce jeune animal, m’avait montré à moi le vieux, le savant, qu’il était capable d’être le plus fort. Je regardais le chien du coin de l’œil, blessait il faut le dire dans mon orgueil. Lui, langue pendante, les babines pleines de terre, la gorge asséchée par le vent, tentait de reprendre son souffle. Il ne retirait aucune gloire de son exploit. Il était là, humblement couché, les yeux mi-clos pour mieux retrouver son souffle. Qu’avait dit mon fil ??? Tu verras, avec un border collie, finie la fatigue, tu pourras encore longtemps être avec le troupeau ? Et s’il avait raison ? Un peu abasourdi, je me suis accroupi dans l’herbe, perdu dans mes pensées. J’en étais là de mes réflexions, quand j’ai senti quelque chose de chaud et d’humide sous mes doigts. Je n’avais pas besoin de tourner la tête pour savoir que le chien était là. J’ai laissé son nez poussait ma main et j’ai reçu de lui ma seconde leçon de la journée. Moi qui l’avait chassé, moi qui l’avait insulté, qui l’avait trouvé étrange et qui lui avait jeté des pierres. Moi cet humain si puissant qui n’avait eu pour lui que mépris, il venait me trouver en rampant m’offrant encore, après tout, ça sa douceur et sa confiance. A cet instant j’ai su que le vent du Larzac n’était pour rien à mes yeux mouillés. J’ai laissé ma main dans son pelage et le soir, nous sommes rentrés amis pour toujours… Pour la première fois, c’est moi qui ai donné à ce fameux border collie, sa gamelle du soir. Et, pour la première fois aussi, il n’a pas regagné sa chaîne. Je l’ai laissé s’installer devant la cheminée éteinte où, j’ai jeté une brassée de brindille et deux boules de journal. Le chien n’a pas bougé de la nuit et au matin je l’ai retrouvé à la même place. Il n’a pas bougé et sa queue s’est mise à battre contre le mur de brique. La tête au sol, les oreilles repliées en arrière, le border collie me disait bonjour. D’un geste rapide sur la tête je lui ai répondu avant d’attraper le bouffadou suspendu au mur. Le bouffadou, c’est un objet un peu magique. Une branche évidée dans laquelle on souffle et qui, quand on sait s’en servir, fait renaître le feu de quelques bouts de charbon. Et tout d’un coup ça m’est venu. Cet objet magique qui tirait l’étincelle du charbon noir… J’ai regardé « Le Chien » et il est devenu Bouffadou, mon compagnon. Bouffadou, malgré sa dominante noire comme le charbon ce chien un côté magique. Il est l’étincelle qui aurait pu me manquer, la flamme qui me permet de marcher au rythme des saisons au côté de mon troupeau ». J'avais juste envie de partager cette histoire avec vous car il m'arrive d'avoir envie d'écrire au sujet de nos amis à 4 pattes. pour ne pas poluer le forum je ne vous en mets qu'une les autres sont sur mon site www.technichien.fr
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www.technichien.fr [img align=left]http://i86.servimg.com/u/f86/12/76/05/69/bannia12.jpg[/img] |
13/03/2009, 13h52
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Superbe histoire émouvante et très vraie
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http://i28.servimg.com/u/f28/12/68/00/75/5-08-112.jpg[size=x-small]filleul de Celine (Eicka) et de Pascale (Elascap) Pattoue marraine de Eicka, Doggy et Velcro [/size] ![]() |
13/03/2009, 13h53
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http://uppix.com/f-image53e68e0c0017374e.jpg Marraine de Chipie,Patton,Dolmène,ELLY,IAGO,Goliath. ![]() ![]() |