HISTOIRE : les conséquences de l'abandon face à l'irresponsabilité des maîtres

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16/09/2006, 02h02
Quand j'étais un chiot, je t'ai amusé avec mes cabrioles et t'ai fait rire. Tu m'as appelé ton enfant, et en dépit de plusieurs chaussures mâchées et quelques oreillers assassinés, je suis devenu ton meilleur ami. Toutes les fois que j'étais méchant tu agitais ton doigt vers moi et me demandais " Comment est-ce possible ? ", mais après on s'amusait ensemble.

Mon éducation a pris un peu plus longtemps que prévu, parce que tu étais terriblement occupé, mais nous y avons travaillé ensemble. Je me souviens de ces nuits où je fouinais dans le lit et écoutais tes confidences et rêves secrets, et je croyais que la vie ne pourrait pas être plus parfaite.

Nous sommes allés pour de longues promenades et courses dans le parc, promenades de voiture, arrêts pour de la crème glacée (j'ai seulement eu le cornet parce que " la glace est mauvaise pour les chiens, " comme tu disais), et je faisais de longues siestes au soleil en attendant que tu rentres à la maison.

Progressivement, tu as commencé à passer plus de temps au travail et à te concentrer sur ta carrière, et plus de temps à chercher un compagnon humain. Je t'ai attendu patiemment, t'ai consolé après chaque déchirements de coeur et chaque déception, ne t'ai jamais réprimandé au sujet de mauvaises décisions, et me suis ébattu avec joie lors de tes retours au foyer.

Et puis tu es tombé amoureux. Elle, maintenant ta femme, n'est pas une "personne chien ", mais je l'ai accueillie dans notre maison, essayé de lui montrer de l'affection, et lui ai obéi. J'étais heureux parce que tu étais heureux.

Ensuite les bébés humains sont arrivés et j'ai partagé votre excitation. J'étais fasciné par leur couleur rose, leur odeur, et je voulais les pouponner aussi. Seulement vous vous êtes inquiétés que je puisse les blesser, et j'ai passé la plupart de mon temps banni dans une autre pièce ou dans une niche. Oh, comme je voulais les aimer, mais je suis devenu un "prisonnier de l'amour ".

Comme ils ont commencé à grandir, je suis devenu leur ami. Ils se sont accrochés à ma fourrure et se sont levés sur leurs jambes branlantes, ont poussé leurs doigts dans mes yeux, fouillé mes oreilles, et m'ont donné des baisers sur le nez. J'aimais tout d'eux et leurs caresses - parce que les tiennes étaient maintenant si peu fréquentes - et je les aurais défendus avec ma vie si besoin était.

J'allais dans leurs lits et écoutais leurs soucis et rêves secrets, et ensemble nous attendions le son de ta voiture dans l'allée. Il y eut un temps, quand les autres te demandaient si tu avais un chien, tu leur montrais une photo de moi dans ton portefeuille et tu leur racontais des histoires à mon propos. Ces dernières années tu répondais juste " oui " et changeais de sujet. Je suis passé du statut de " ton chien" à " seulement un chien, " et vous vous êtes offensés de chaque dépense pour moi.
Maintenant, vous avez une nouvelle occasion de carrière dans une autre ville, et vous allez déménager dans un appartement qui n'autorise pas d'animaux familiers. Tu as fait le bon choix pour ta " famille", mais il y eut un temps où j'étais ta seule famille.

J'étais excité par la promenade en voiture jusqu'à ce que nous arrivions au refuge pour animaux. Cela sentait les chiens et chats, la peur, le désespoir. Tu as rempli la paperasserie et as dit : " Je sais que vous trouverez une bonne maison pour elle." Ils ont haussé les épaules et vous ont jeté un regard attristé. Ils comprennent la réalité qui fait face à un chien entre deux âges, même un avec "des papiers." Tu as dû forcer les doigts de ton fils pour les détacher de mon col et il a crié " Non, Papa ! S'il te plaît, ne les laisse pas prendre mon chien !" Et je me suis inquiété pour lui. Quelles leçons lui avez-vous apprises à l'instant au sujet de l'amitié et la loyauté, au sujet de l'amour et de la responsabilité, et au sujet du respect pour toute vie ? Tu m'as donné un " au revoir caresse" sur la tête, as évité mes yeux, et as refusé de prendre mon collier avec vous.

Après votre départ, les deux gentilles dames ont dit que vous saviez probablement au sujet de votre départ il y a de cela plusieurs mois et que vous n'aviez rien fait pour me trouver une autre bonne maison. Elles ont secoué la tête et ont dit : " Comment est-ce possible ?".

Ils sont aussi attentifs à nous ici dans le refuge que leurs programmes chargés le leur permettent. Ils nous nourrissent, bien sûr, mais j'ai perdu l'appétit il y a plusieurs jours. Au début, chaque fois que quelqu'un passait près de ma cage, je me dépêchais en espérant que c'était toi, que tu avais changé d'avis, que c'était juste un mauvais rêve... ou j'espérais tout au moins que ça soit quelqu'un qui se soucie de moi et qui pourrait me sauver. Quand je me suis rendu compte que je ne pourrais pas rivaliser avec les autres chiots qui folâtraient pour attirer l'attention, je me suis retiré dans un coin de la cage et j'ai attendu.

J'ai entendu ses pas quand elle s'approchait de moi en fin de journée, et j'ai trottiné le long de l'allée jusqu'à une pièce séparée. Une pièce heureusement tranquille. Elle m'a placé sur la table et a frotté mes oreilles, et m'a dit de ne pas m'inquiéter. Mon coeur battait d'appréhension à ce qui était à venir, mais il y avait aussi un sentiment de soulagement. Le "prisonnier de l'amour" avait survécu à travers les jours. Comme c'est dans ma nature, je me suis plutôt inquiété pour elle. Le fardeau qu'elle porte pèse lourdement sur elle, et je le sais, de la même manière que je connaissais votre humeur chaque jour. Elle a placé une chaîne doucement autour de ma patte de devant et une larme a roulé sur sa joue.

J'ai léché sa main de la même façon que je te consolais il y a tant d'années. Elle a glissé l'aiguille hypodermique habilement dans ma veine. Quand j'ai senti la piqûre et le liquide se répandre à travers mon corps, je me suis assoupie, l'ai examinée de mes gentils yeux et ai murmuré : " Comment as-tu pu ?". Peut-être parce qu'elle comprenait mon langage, elle a dit " je suis si désolée." Elle m'a étreint, et m'a expliqué précipitamment que c'était son travail de s'assurer que j'allais à une meilleure place où je ne serais pas ignoré ou abusé ou abandonné, où j'aurais à pourvoir moi-même à mes besoins, une place remplie d'amour et de lumière très différent de cet endroit. Et avec mes dernières forces, j'ai essayé de me transporter jusqu'à elle et lui expliquer avec un coup sourd de ma queue que mon " Comment as-tu pu ?" n'était pas dirigé contre elle. C'était à toi, Mon Maître Bien-aimé, que je pensais.

Je penserai à toi et t'attendrai à jamais.

Puisse tout le monde dans ta vie continuer à te montrer autant de loyauté
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16/09/2006, 12h34
Trop triste !!! Smiley
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SmileyMa grosse Tomme je t'aimais Smiley
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16/09/2006, 12h52
Merci les filles... Smiley Smiley Smiley
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16/09/2006, 13h02
Elle s'appelle comment, la personne qui a écrit ça pour un chien ? S'il te plait. Au moins que son nom à elle soit rendu public.
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16/09/2006, 13h04
Je suis en larmes Mag......

Oui...elle s'appelle comment, la personne qui écrit ça .....? Smiley
je suis en larmes......
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16/09/2006, 13h05
Dur, hein, ma Triskelfe... vais la claquer, Mag Smiley Smiley
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16/09/2006, 13h08
Ah ça pour être dur......c'est dur....ça fait relativiser....

Smiley Smiley
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16/09/2006, 13h10
C'est beau...même si c'est triste...c'est bien écrit...j'ai commencé à pleurer dès la 2ème phrase Smiley" Smiley
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16/09/2006, 13h24
C'est la fin le plus triste moi je trouve... Smiley Smiley Smiley
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SmileyMa grosse Tomme je t'aimais Smiley
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16/09/2006, 13h29
j'ai déja vu ce texte , mais je sais plus ou, c'est vrai qu'il est trés prenant Smiley
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16/09/2006, 13h29
Bien vu Ainos ! Smiley Smiley" Smiley


Pffff....C'est connerie humaine le plus triste...
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16/09/2006, 13h30
J'ai le cerveau aussi performant et mûre que mes yeux !!!
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SmileyMa grosse Tomme je t'aimais Smiley
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16/09/2006, 13h38
N'est pas blonde qui veut !! Smiley Smiley Smiley
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16/09/2006, 13h39
Lol Smiley
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SmileyMa grosse Tomme je t'aimais Smiley
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17/09/2006, 00h41
Citation:
Vasco a écrit :
Elle s'appelle comment, la personne qui a écrit ça pour un chien ? S'il te plait. Au moins que son nom à elle soit rendu public.
malheureusement je ne sais pas qui a écrit ce texte... si j'ai l'occasion de le revoir et accompagné de l'auteur du texte, je vous le ferais savoir...
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07/10/2006, 00h23
Je suis mort ce matin, 12 Juin 2006, à 11 h 30 dans le sinistre refuge de L.L. en Belgique .....
Juste avant, j'ai senti une main, celle d'Isabelle qui me carressait doucement la tête.
"Mais, qu'est ce que tu as mon toutou ?"
Elle s'est attardée devant ma cage, s'en éloignant par instants mais y revenant sans cesse.
Déjà, je ne pouvais plus bouger ....
Inquiete, elle est allée chercher la vétérinaire.
Je l'ai entendu qui lui disait :
- "Mais qu'est-ce-qu'il a ce chien ?"
Calmement, très calmement, la vétérinaire lui a répondu :
- "Celui-là ? Je viens de l'endormir."
Isabelle n'a pas compris tout de suite : "l'endormir ? ce chien est-il si nerveux pour qu'on lui administre un calmant aussi puissant ?" a-t-elle pensé.
Mais quelques secondes plus tard, tout est devenu clair ....
Isabelle s'est alors mis à hurler : "mais non, vous n'avez pas pu faire ça !?
dite-moi que vous n'avez pas fait ça !"
Sans cesse, elle repetait ces mots en sanglotant tandis que j'agonisais lentement ....
J'aurai tant voulu qu'elle revienne poser sa main sur ma tête ....
Alors, j'ai tourné la tête une dernière fois et je suis mort là devant ses yeux.
Seche tes larmes Isabelle, tu n'en aurais pas assez.
Des centaines de chiens comme moi sont mis à mort chaque année.
Notre crime : être un jour devenu une gène pour notre maître.
Je viens juste de pousser mon dernier soupir ..... Je suis tout mouillé parce que j'ai fait pipi, de peur, et que je me suis trainé dedans.

http://img168.imageshack.us/img168/7024/chiendcdenrefugeoi7.jpg

Et là, c'est ma cage vide : on vient juste de m'emporter. Je sais, il y a des croquettes partout. Ils ont eu du mal à me maitriser. Je ne voulais pas mourir ....

http://img384.imageshack.us/img384/8148/belgique0314uqsd5hn4.jpg

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c'est juste pour dire, que quand vous achetez un chien, ca doit être bien réfléchis... sinon, ils se peut qu'il arrive la même chose pour lui un jour...
et pour justement éviter qu'il n'arrive la même chose à un chien en mal de maître, je conseil fortement d'aller adopter.
c'est une bien triste histoire Smiley
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07/10/2006, 12h42
C'est trés triste en effet !!! Smiley Smiley Smiley Smiley
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SmileyMa grosse Tomme je t'aimais Smiley
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07/10/2006, 18h48
l'auteur que vous cherchez est JIM WILLIS
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07/10/2006, 19h06
Bonsoir,

Je viens juste de finir de lire.

La fin de la lecture a été plutôt difficile, trés dur de lire a travers les larmes.

Je vais de ce pas faire un gros calin a mon chien, mon amour de Velours !!!!

Kanou et Velours


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Marraine de van-Gogh et marraine de Boulette

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14/10/2006, 13h24
une histoire d'un ami que j'ai rencontré cette été (il fait aussi de la protection animal sur internet), comme on avance vers les fêtes de Noël, lisez ce récit :

Ca fait longtemps que je ne crois plus au Père Noël.

Ils m'ont laissé là derrière ces barreaux, au fond de ce puits dit sans fond, ou dans une cage trop petite, avec l'ennui pour seul compagnon, la solitude, le désespoir et l'angoisse pour rois mages. Pour moi pas de réveillon, juste un repas fade, ordinaire; pas de " Joyeux Noël! ", pas même un " au revoir ", juste la porte qui claque et le vigile qui prend la relève. Je n'aboie plus, je ne miaule plus, j'ai cessé de ronger mes barreaux, j'ai laissé mon repas. Ils sont partis manger leur foie gras, offrir des cadeaux à leurs enfants à qui ils dissimulent leur monstruosité, ils reviendront demain forts de leur supériorité et de leur arrogance, toujours plus méprisants et pervers. Les larmes que je verse ce soir et que je verserai demain ne les apitoieront pas. L'Emmanuel n'aura pas eu lieu dans leur coeur. Je ne suis qu'un hamster, un beagle, un chat, un chimpanzé...

Où sont-elles mes forêts d'Afrique, mes bois de Fontainebleau, mes prairies de Sologne? Désormais, Noël ou pas, mon horizon se limite à ces murs blancs ou à rien s'ils éteignent la lumière comme ils ont éteint mes espoirs.

Dieu m'a créé pour être aux côtés d'Adam et Eve, mais il faut croire que la pomme était vraiment pourrie, amère; ils m'ont réduit en esclavage, m'ont privé de ma dignité et de ma liberté. Une part de celles-ci constituerait un beau cadeau de Noël.

Lumière d'une torche: le vigile fait sa ronde. Quelques bruits de bêtes agacées ou terrifiées, voire niaisement suppliantes: " Libère-moi! "
Je me rappelle mon passé: je sautais de liane en liane dans la jungle africaine ou asiatique, je vivais sans affection, on m'a abandonné et des hommes, auxquels j'ai accordé ma confiance ou que j'ai tenté de fuir, mon capturé, je suis né en captivité; le futur? Je n'y crois plus comme je ne crois plus au Père Noël.

De nouveau dans le noir. Un condamné hurle à la mort. Réponse cinglante du vigile: " La ferme! " Coup de matraque sur les barreaux. Concert apeuré. Je me recroqueville. Je rêve de mourir. De vivre. De mourir. Je ne sais plus. La détention me rend fou. Si seulement j'étais né ailleurs, si seulement les mercenaires ne m'avaient pas attrapé, si j'étais né homme et pas rat.

Je n'ai rien fait de mal et l'on me sanctionne chaque jour. C'est Noël. Où est mon cadeau? Une noix?! Une carotte?! Une promenade?! Un jouet?! Une caresse?! Rien!!!
C'est un jour comme les autres.

Le chat gris et l'épagneul ne sont pas revenus. Leurs cages sont vides jusqu'à demain. A quand mon tour? Je ne suis qu'un matricule, un objet d'expérience. Ils se moquent de mon regard malheureux et attendrissant, du fait que je sois prêt à leur pardonner en échange d'un bout de pain ou d'un carré d'herbe.

Ils m'ont exclu des fêtes de Noël. Le Père Noël ne passera pas.
La relève. Les blouses blanches reviennent. Serai-je là pour le Nouvel An ?

J'en doute car le vivisecteur arrive avec dans sa hotte ses " cadeaux ", le Père Fouettard des temps modernes vient à ma rencontre, moi qui ait commis la seule faute de pisser de terreur. Il sort ses instruments. Je miaule, aboie, crie, glacé par l'épouvante. Crise cardiaque, délivre-moi.

Tenailles, tuyaux, aiguilles... Champagne pour vous, sérum pour moi.
Amusez-vous, riez, mangez, bonnes gens.
Si mon supplice pouvait cesser...
Il me prend par le cou, inexpressif.
Ah! mes vertes forêts, vallées, prairies...
Non, je ne crois plus au Père Noël."



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14/10/2006, 13h33
encore une histoire écrite par mon ami (un abandon n'est pas un acte anodin pour les animaux) :

Je me souviens. C'était par une belle matinée de printemps. Je venais de terminer mon bol de céréales, et je m'apprêtais à rejoindre mes amis pour une marche en forêt. C'était samedi et le week-end s'offrait à nous. Profiter des merveilles naturelles, nous amuser et travailler en vue du passage en classe de première. Même si dans mon cas, ça ne posait pas problème. Mes facilités intellectuelles m'assuraient une scolarité sans encombre.

Encore ensommeillé, j'ai entendu des sortes de couinements, des pleurs. Intrigué, j'ai ouvert la porte d'entrée. Tu étais là, assis sur le paillasson, petite boule dorée aux poils néanmoins noircis par la terre. Tu m'as regardé et je t'ai adopté.Je t'ai laissé entrer dans notre maison; l'inconnu semblait t'apeurer, mon accueil te réconforter. J'ai ouvert un placard sous l'évier, j'ai fouillé et retiré une gamelle en plastique vert. Elle appartenait à feu Paulo, le berger allemand de mon père, qui nous avait quitté l'automne dernier, emporté par la vieillesse. Désormais, ce serait ta gamelle. J'y ai versé un peu de lait et, pendant que tu le lapais, j'ai répété les gestes accomplis maintes fois pour Paulo. Il restait un paquet de croquettes non entamé; je l'ai déchiré et j'ai déposé une grosse poignée de nourriture dans ta gamelle, pendant que tu bondissais de joie. Affamé, tu as tout dévoré. Je me demandai d'où tu venais, petit chiot esseulé. Perdu? Enfui? Abandonné? Qu'importe: tu avais franchi les clôtures de notre jardin et choisi notre demeure.

Que j'étais heureux! J'avais aimé Paulo, mais c'était le chien de mon père. Toi, petit orphelin, tu serais MON chien. Je t'élèverais et tu partagerais mon quotidien.

Désireux de ton bien-être, j'ai changé de pièce. Tu m'as suivi. J'ai récupéré la panière confortable de Paulo, j'ai traversé le séjour et je l'ai secouée par la baie vitrée qui donne sur le Charmant Som. Une fois dépoussiérée, je l'ai posée près de la télé, et tu as affiché ton goût pour la volupté en t'y recroquevillant. Je suis resté à te caresser et à te parler. Tu m'écoutais et tu t'apaisais.

On a sonné à la porte et tu as sursauté. Je t'ai rassuré. C'était Fred qui venait me chercher. Il a crié de surprise en te voyant. Ses yeux se sont écarquillés. Je lui ai expliqué notre rencontre et lui ai annoncé que je te gardais. Fred était content pour moi. Pour nous. Il nous a quittés et est parti randonner avec les autres. Je voulais passer le reste de la journée en ta compagnie.

Mes parents sont revenus, les bras chargés de provisions. Ils s'émerveillèrent à ta vue, s'exclamèrent et s'enquirent des raisons de ta présence dont ils se réjouirent. Eux aussi t'adoptèrent immédiatement. Tu te sentais bien dans notre foyer et l'adoption fut réciproque. Nous te cherchâmes un nom puisque tu arrivais de nulle part. Nous vivions en Chartreuse et Hugues, le prénom du célèbre Frère, me parut approprié. De plus, il s'agissait d'un nom monosyllabique, très pratique pour appeler un chien.
Cher Hugues, tu avais intégré notre famille.

Nous t'apprîmes la propreté, les règles et les horaires de la maison, nous t'aménageâmes un emploi du temps cohérent aux activités épanouissantes, et commenceâmes à veiller sur toi. Ton éducation et ton intégration se déroulèrent idéalement. Nous savions comment agir et tu y mettais du tien; tu comprenais tout et t'efforçais de nous satisfaire. Tu prenais tes repas après les notres, attendant patiemment ton tour, toujours reconnaissant pour ces délicieuses croquettes et nos quelques restes. Tu passais d'agréables journées à jouer et à te reposer dans le jardin, à te rouler dans l'herbe, à mordiller une balle de tennis, et à te prélasser. Pendant nos absences, tu gardais bien sagement la maison. Très vite, nos départs cessèrent de t'angoisser car tu savais que nous reviendrions. Tu ne les appréciais évidemment pas, mais tu les acceptais bon gré mal gré.

Ton grand moment de joie quotidienne correspondait à mon retour du collège. Dès que tu apercevais mon scooter, tu courais et bondissais en tous sens; ta queue battait l'air de façon frénétique et tes aboiements exprimaient un bonheur indicible et communicatif. Etais-je aussi heureux que toi, Hugues? Je le crois. Au cours de la journée de classe, quoique concentré, je songeais à toi; j'avais placé une petite photo de ta bonne bouille dans ma trousse. Ainsi, chacun de mes camarades connaissait ta gueule de cabot. Je leur narrais ton évolution, ton existence et la félicité que tu m'apportais.
Je garais mon scooter, éteignais le moteur et rangeais mes affaires dans la maison, flanqué de ta tonitruante, encombrante et sympathique présence. Après avoir embrassé Maman, je tapais dans mes mains et ton excitation redoublait d'intensité car tu identifiais le signal de la sortie. Au début, je te tenais en laisse mais je m'aperçus vite que cette précaution ne s'avérait pas nécessaire: tu me suivais ou me précédais, mais ne t'éloignais jamais vraiment.

Nous franchissions le portail et entamions une course à travers bois, sur les chemins terreux et caillouteux. Tu t'arrêtais parfois pour te soulager et repartais de plus belle, fondeur passionné et infatigable. La course sylvestre me défoulait et marquait la fin de la journée de travail. J'endurais la distance, mais au bout du compte,l'épuisement et la lassitude me gagnaient bien avant que tu ne paraisses émoussé. Nous rentrions. J'ôtais mon tee-shirt et ma précipitais à la cuisine pour avaler des verres d'eau fraîche, tandis que tu te ruais sur la casserole, posée devant la porte d'entrée afin de vider l'eau tout aussi fraîche, parce que tout juste renouvelée. Si le temps était clément, tu t'étirais et te roulais dans l'herbe avant de t'y affaler en position de sphynx. S'il pleuvait, je t'essuyais dans le vestibule, pour éviter que tu ne salisses tout, et tu me suivais. Tu te couchais à la porte de la salle de bains de l'étage et attendais tranquillement que je ressorte. La douche me délassait et me revigorait. Je m'habillais en hâte, nous redescendions saluer Papa normalement rentré entretemps et remontions jusqu'à ma chambre où je potassais les cours du jour, allongé sur mon lit, toi dans ton panier, que chaque jour tu remplissais un peu plus. Tu grandissais et forcissais. Tu te distinguais du misérable chiot crotté du premier jour.
Vers vingt heures, nous dînions en famille. A la fin du repas, je te donnais la pitance, dont tu te rassasiais.

Puis nous regardions parfois la télé. Tu disposais d'un second panier dans le séjour et, comme nous entrebaîllions la porte d'entrée, tu allais et venais à ta guise. Un chien domestique et cependant libre.
Je finissais par retourner dans ma chambre pour la nuit, je lisais quelques pages de livres palpitants, avant d'éteindre la lumière. Tu dormais, ton panier au pied de mon lit. Présence placide, affectueuse et équilibrante. Hugues, mon chien.

Les grandes vacances arrivèrent et je me remémore ces deux mois de liberté et de complicité avec délice. Les fortes chaleurs grenobloises étaient déjà là et la hauteur du Sappey ne parvenait pas à nous épargner de la canicule. Tu souffrais de ces températures excessives et nous veillions à régulièrement remplir ta casserole d'eau. Les mouches t'exaspéraient. Pauvre de toi.

Pour commencer, nous nous séparâmes une dizaine de jours, le temps de mon séjour sur l'île de Groix, en Bretagne. Partir au bord de l'océan me charmait, te quitter me fendait le coeur. Le matin de mon départ, tu étais triste, tu gémissais et tes mouvements anxieux signifiaient que je t'avais transmis mon malaise. Juste au moment d'abandonner la maison, je te parlai posément: mon imagination me joue-t-elle des tours ou compris-tu vraiment ma promesse de retour ?

Sous le soleil breton, je marchai, nageai ( quelle eau froide! ), pratiquai le kayak, savourai galettes, crêpes et bolées de cidre, et flirtai sans lendemain avec une jeune catalane. Ce séjour me combla. Cependant, ton absence me peina; j'aurais préféré que tu sois là. C'est pourquoi je fus ravi de retourner en Chartreuse.

A mon arrivée, tu me fis une fête exubérante, tu sautais sur moi, sprintais sans logique dans le jardin, me léchais le visage... Je partageais ta liesse et te prodiguais caresses et paroles. Ce soir-là, en dépit de la fatigue du voyage en train, nous jouâmes fort longtemps à la balle.

Mon retour signa le début de NOS vacances.
Je me remémore pêle-mêle nos matinales randonnées en montagne, nos pauses aux sommets, mes contemplations des trois massifs à tes côtés, nos descentes à un rythme effréné, les festivités liées à la victoire française en finale de la Coupe du Monde de football face au Brésil, mes propres performances sur un terrain en compagnie de mes camarades. Je jouais à un poste de milieu récupérateur, j'étais plus physique que technique. Arpentant sagement la ligne de touche, tu observais mes déplacements, mes interventions, mes duels, mes gains et pertes de balles, mes passes ratées ou réussies. Tu levais la tête, perplexe quant à mes manifestations de joie consécutives à l'inscription d'un but.

Je me remémore pêle-mêle les dîner dans le jardin, ma première cuite et l'épouvantable nuit qui s'ensuivit. Le brouillard me prive de tout souvenir intègre. Je suppose que tu as veillé sur ton pauvre maître. Les footings. Ma dispute avec Julien. Ma réconciliation deux jours plus tard avec ce même Julien. Un orage d'une rare violence. Je dus te rasséréner. Les innombrables fois où je te lançais un bâton; tu t'empressais de le rapporter.

Je frémis invariablement en songeant que ce jeu millénaire aurait pu causer ta mort précoce. Une fois, emporté par l'allégresse, je lançai l'objet trop puissamment, de façon qu'il franchît les limites du jardin. Instinctif, tu t'élanças et bondis à ton tour par-dessus la clôture. Tu ne t'emparas pas du bâton inerte; au lieu de cela, le crissement des pneus te terrifia et tu te ramassas sur toi-même, pour une fois pataud. Le conducteur avait évité le choc. De très peu. Nous étions tous abasourdis. Aterrés et soulagés. A deux doigts de tomber dans les pommes. Le conducteur qui chancelait en sortant de l'habitacle. La mince femme blonde de ce gros monsieur roux. Ma mère qui nous regardait jouer, allanguie sur un transat. Toi, qui avait senti la fin sans heureusement y goûter. Et moi, qui restait planté, tout bête, à l'endroit de mon lancer, à la manière d'un athlète qui comprend qu'il a loupé un dernier jet décisif.

Soudain, j'ai réagi et j'ai couru vers toi. Je t'ai enlacé. Nos coeurs se lançaient un défi: lequel battrait le plus vite? J'ai posé ma tête contre ton poitrail brûlant et musclé, et j'ai fermé les yeux. J'ai entendu une voix qu'un fort accent animait. Le conducteur me demandait si tout allait bien. J'ai regardé cet homme gras à la face débonnaire. Puis la femme svelte et belle. J'inspectai ton corps, tâtai tes membres. Ni fracture ni foulure apparente. Grâce au réflexe du chauffeur, nous avions vraisemblablement connu une frayeur sans conséquence. Ce qui se confirma.

La tension retombait. Des sourires timides puis plus francs éclairèrent nos visages qui retrouvaient des couleurs. Tu léchais ma main encore tremblante et moite. Je m'excusai auprès de ces braves gens. Dans un Français hésitant, la femme m'expliqua qu'elle ne m'en voulait pas, que la même mésaventure lui était arrivée enfant, et qu'elle se réjouissait que mon chien n'aïe pas connu la fin tragique du sien.
Nous les invitâmes, ils acceptèrent, garèrent leur véhicule et passèrent le reste de l'après-midi chez nous. Nous insistâmes pour qu'ils dînent à notre table. Ce fut une bonne soirée. Les touristes allemands repartirent aux alentours de minuit. Ils dormaient dans un camping, de l'autre côté du Col de Porte. Demain, ils visiteraient Voiron et Chambéry, et dormiraient dans un gîte du massif des Bauges. Tout le temps qui succéda à l'incident, et même si je participai à cette réception imprévue, je me rapprochai de toi, te parlai et ma main ne se décollait pas de ton pelage, comme pour m'assurer de la réalité de ta présence. Des frissons m'agitaient, je songeai au pire, au cauchemar évité. Grâce à cet affable touriste dont je me rappelerai toute ma vie, nous continuâmes notre histoire commune.
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14/10/2006, 13h35
suite :

L'année scolaire 98-99 vît mon triomphe attendu au baccalauréat. Mention bien. L'obtention aisée et glorieuse du diplôme récompensait une scolarité parfaite.

Pour nous, Hugues, la vie continua, mélange de passion et d'amitié tranquille. Ta fougue stimulait mes propres efforts physiques, si bien qu'en ta compagnie, je courais sur des distances plus longues, à un rythme toujours plus soutenu. Nous poursuivîmes nos jeux de balle et de rappel, nos randonnées sous des arbres aux feuillages verts ou multicolores, aux branches nues, sous le soleil, la pluie ou la neige, selon les saisons. Tu aimas particulièrement cette poudre froide et blanche, dans laquelle tu imprimais la forme de tes pattes ou de ton corps massif. Tu croquais les boules que mes mains gantées modelaient et projetaient dans ta direction, et de petits nuages blancs se formaient quand tu marquais ton territoire. Mes chutes en luge ou en ski de fond t'amusaient, tes glissades sur le verglas m'amusaient. A la maison, tu recherchais la chaleur des radiateurs et t'enveloppais dans une couverture beige.

Les jours s'allongèrent, nous rangeâmes couvertures et vêtements chauds, reprîmes les sports estivaux ainsi que notre quête de fraîcheur. Je révisai, sortai moins mais te consacrai toujours autant de temps.

Les résultats du bac proclamés, j'organisai une fête à la maison. Même ceux qui avaient échoué participèrent et oublièrent le temps d'un verre, d'une danse ou d'une plaisanterie, leur légitime déception. Enjoué et accueillant, tu récoltais un peu de nourriture et d'innombrables caresses et démonstrations de sympathie. Chacun s'accordait à dire que nous étions faits l'un pour l'autre et que t'avoir trouvé m'avait épanoui.

Les vacances ressemblèrent aux précédentes, frayeur exceptée, de sorte que, tu le comprendras, je ne m'y attarderai pas.

Je passai cinq années à la faculté de Grenoble où j'obtins un DESS en Sciences économiques et sociales. Ce furent de bonnes années, entre acquisition d'un savoir, rencontre de nouveaux amis, de filles, soirées étudiantes arrosées plus que de raison, virées en voiture dans les Alpes ou plus loin.

Je crois que nos relations, mon cher Hugues, se détériorèrent de manière insidieuse, lorsque j'attaquai la terrible année de maîtrise et sa colossale somme de travail. Cette année-là, plus que jamais, je dus travailler d'arrache-pied pour obtenir une place en DESS. De nombreux étudiant convoitaient ces rares places et si, jusqu'à présent, j'avais largement été au-dessus du lot, ce n'était plus le cas. Des jeunes gens brillants rivalisaient avec moi et rien, sinon mon assiduité, ne m'assurait l'atteinte de mon objectif.

C'est ainsi qu'armé d'une motivation et d'une ambition de battant, j'augmentai considérablement mon volume d'heures de travail.
Au retour du campus, et même s'il faisait encore jour, je ne courais plus systématiquement avec toi. Quand j'y pense, je démontrais moins ma joie, tandis que toi, tu demeurais le même chien exubérant et affectueux. Ma perte de dynamisme se situait au-delà de ta compréhension, mais tu t'y résignais et ne m'en tenais pas rigueur. Nous passions moins de temps à jouer et je te prodigais moins de signes d'amitié, de chaleur. La lassitude s'installait sournoisement. La routine. Pauvre idiot, j'oubliais que ta présence quotidienne était une bénédiction. J'enfonce une porte ouverte, mais il est cruellement vrai qu'on s'aperçoit qu'on tient aux gens quand ceux-ci ne sont plus là.
Edwige contribua à cette désaffection. Tu souffris, et c'est un euphémisme!, de ma liaison avec cette fille. Une grave erreur de ma part. Elle appartenait à mon groupe de travaux dirigés et nous nous étions associés dans le cadre d'une étude assez longue. Nous travaillions à la bibliothèque, chez elle ou ici-même, dans notre maison du Sappey. Elle n'aimait pas les bêtes. Elle n'aimait pas les chiens. Elle ne t'aima pas. Tu la gênais.

Cette personne, que je choisis aujourd'hui d'oublier, possédait un charme calculé, manipulateur et ravageur. Sa sensualité, sa démarche, ses sourires étudiés alimentaient les fantasmes d'un contingent d'étudiants mâles. Je fus carrément envoûté. Un complet imbécile. La garce m'attrapa en déployant un éventail d'artifices. Si tu savais comme je m'en veux, comme j'ai honte de ma naïveté. Elle m'harponnât car elle pariait que je réussirais et obtiendrais une confortable et lucrative situation. Je te promets, Hugues, de me montrer plus clairvoyant dans le choix de ma future amie! J'espère avoir retenu la leçon.

Toujours est-il que nous nous liâmes; nous formions un couple en vue. Deux des plus brillants éléments de notre promotion. Un des membres de l'équipe de football universitaire. Une des plus belles étudiantes du campus. Elle m'encourageait à travailler - en avais-je tant besoin? - et mon ardeur et mes résultats suscitèrent le respect de nos professeurs.
Edwige m'influença hélas de façon bien plus négative: je délaissai mes amis de longue date pour fréquenter son microcosme superficiel et oiseux. Mes parents, lucides, voyaient cette relation d'un mauvais oeil et, lorsqu'ils me le signifièrent, je m'emportai et nous nous disputions comme jamais. Aujourd'hui, rassure-toi, mes parents m'ont pardonné et je renouerai incessamment avec mes vrais amis. Je ne commettrai pas deux fois la même erreur.

Certains soirs, je dormais dans la pièce exigüe d'Edwige. Elle venait de Valence et avait loué une chambre universitaire. Je devais te manquer, mais je refoulais cette idée. Je minimisais ton importance afin de ne pas culpabiliser. Te demandais-tu où était passé l'adolescent enjoué et chaleureux qui t'avait recueilli un beau matin d'avril ?
Il arrivait que le weekend je garde seul la maison. Edwige ne rejoignait alors pas Valence, mais s'installait au Sappey dès le vendredi soir, pour deux nuits et deux jours amoureux, torrides et... studieux: il le fallait bien. Des dîners romantiques, des nuits de sexe, et des réveils tardifs. Tu nous ennuyais. Tu étais de trop. Toujours dans nos pattes à quémander mon affection, alors que je ne désirais qu'Edwige. Tes sollicitations jaillissaient de ton coeur meurtri; je fus un mauvais maître.

Je jetais tes croquettes d'un geste mécanique et brusque, omettais de changer ton eau. Je ne te caressais plus. Pas même une tape amicale. Je ne jouais plus avec toi. Les promenades dans cette forêt si proche et magnifique disparaissaient. La table débarrassée, je claquais la porte en me plaignant du froid et en t'adressant un regard agacé, courroucé. Tu te faisais petit et je refusais de lire la tristesse crue de tes yeux noirs. Tu nous suivais dans l'escalier et je t'engueulais. Penaud, tu redescendais. Elle soupirait et te regardait méchamment. Tu pouvais toujours revenir si ça te chantait: j'avais fermé la porte pour préserver l'intimité de nos ébats et oublier ta présence pesante. Tu n'osais même pas pleurer car tu te souvenais que la seule fois où tu avais manifesté ta peine et ton angoisse d'abandon, j'étais sorti en trombe, en vociférant des assanités. J'avais propulsé une sandale qui t'avait loupé de peu et tu étais redescendu en hâte. Comprends-tu, tes pleurs nous gênaient et nous empêchaient de toucher à l'orgasme. Je n'étais pas fier de moi après mon geste d'agressivité, mais je finis par en rire, aidé par Edwige qui me certifiait que j'avais bien fait, que ce sale clebs n'avait pas le droit de nous pourrir la vie. Un chien en détresse déprime dans sa panière. Une blonde perfide et un grand couillon simulent l'amour dans un lit défait et trop étroit. Triste tableau. Laisse-moi me servir un autre verre avant de continuer.

Edwige n'avait pas été prise en DESS; elle préparait et passait des concours depuis un an, et ses échecs, sa tension, son ambition contrariée la rendaient irascible. Elle te méprisait de plus en plus. J'avais obtenu ce fameux DESS et un cabinet d'études parisien me proposait une première offre d'emploi alléchante. Salaire attractif. Perspective d'évolution. Une occasion en or que je saisissais. Joie d'Edwige. Pas pour moi, mais pour elle. Elle avait parié sur le bon cheval, sur le type qui gagnerait beaucoup d'argent et qu'elle manipulerait à sa guise. Moi, Mathieu, le grand nigaud.
Je commencerai dans un mois.

Pour célébrer mon entrée fracassante dans la vie active, nous nous offrîmes trois semaines en Corse. Des hôtels acceptaient les chiens, mais je préférai te confier à mes parents qui te dispensèrent, j'en suis sûr l'affection dont je te privais. Je prononçai un " au revoir " inaudible et bref et me détournai de ton incompréhension et de ta frustration. Loin de toi, je pourrai enfin respirer.

Ce voyage délicieux permit à Edwige d'affermir son emprise sur ma faible personne. Je succombais à ses élans de tendresse factices et intéressés, face aux baies de Calvi ou d'Ajaccio, ou dans un petit restaurant à la cuisine typique et copieuse de l'arrière-pays.
Mon ami, je pensais peu à toi, je chassais ton image qui m'exaspérait. Nous parlâmes de toi un soir, alors que nous savourions des langoustines en bord de mer. Chanceux, nous emménagerions dans un deux pièces meublé, situé en plein Paris, obtenu grâce à un oncle d'Edwige. Ma dulcinée tentait de me convaincre de te donner définitivement à mes parents ou de t'abandonner à un refuge. Outre son désintérêt envers toi, elle déployait des arguments souvent absurdes et faussement altruistes: chien élevé à la campagne, tu serais malheureux en ville, en appart; tu serais mieux parmi tes congénères; tu deviendrais triste si des enfants naissaient... Elle tentait tout pour que tu quittes ma vie. Je résistai: faut-il croire que notre passé nous liait encore, même si le fil ténu d'une amitié quasiment révolue menaçait de se rompre à la moindre secousse. Edwige fulminait, boudait, ne terminait pas sa glace à la chataîgne, mais tu nous accompagnerais.

Le retour de Corse fut l'occasion de saluer nos connaissances, surtout les siennes d'ailleurs, et de préparer nos bagages, car le grand déménagement se précipitait. J'ai honte quand je pense à mon arrivée au Sappey. Il avait plu et le sol était boueux. Fou de me revoir, tu sautais sur moi et, abruti, au lieu de te remercier pour ton accueil festif et franc, je m'énervai, criai et te reprochai de salir mon pantalon blanc. Quel minable étais-je devenu! Je te causai une peine immense et tu te réfugiais derrière ceux qui t'aimaient et qui ne reconnaissaient plus leur fils unique. Nous éprouvâmes tous de la tension jusqu'au jour du déménagement.

Cette tension atteignit son paroxysme le matin des adieux. Je la ressentais amèrement en embrassant mes parents. Eux aussi m'agaçaient. J'écourtai les effusions entre eux et toi et t'intimai avec autorité l'ordre de grimper dans la voiture surchargée, où tu te trouvais une place inconfortable. Nous partîmes au petit jour et, autre signe de mon changement, je n'observai pas le lever du soleil sur les montagnes. A Grenoble, Edwige m'attendait dans sa propre voiture. Nous nous suivrions.

Le long du trajet, j'aurais dû m'arrêter toutes les deux heures pour que tu pisses et te dégourdisses les jambes, mais je ne stoppai que deux fois sur des aires d'autoroute, pour nous soulager nous, les humains, et engloutir des sandwiches à midi. Tu profitas de ces pauses nécessaires.

En début de soirée, nous connûmes les premiers embouteillages parisiens, des embouteillages pires que ceux que nous affrontions à Grenoble. Je pestai. Edwige devait en faire autant. Lassé de ton immobilité, tu gémissais. Je te réduisis au silence par un ordre hurlé accompagné d'une main levée. Tu t'écrasais, n'osant pas même soupirer. Rétrospectivement, j'admire ta fidélité car si la situation t'échappait, tu espérais toujours que je ne t'échappais pas. Quelle foi en moi! Je te chéris d'autant plus, Hugues.

Nous finîmes par arriver à l'immeuble et nous nous garâmes en double-file afin de décharger les voitures, ce qui provoqua l'ire des automobilistes obligés de déboîter; je les insultai vulgairement. Je te promenai en laisse, juste suffisamment de temps pour que tu urines, pas assez pour que tu défèques et je te montai illico presto dans l'appartement, au 3è étage. Je n'avais jamais habité en appartement et l'ascenseur luxueux me plut.

Bien sage, tu scrutas nos allers et venues, nous entassions les affaires et tu te poussais de ton propre chef afin de ne pas gêner. Apeuré, tu n'osais pas montrer ton malaise.
Ca y est! Nous étions à Paris!


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14/10/2006, 13h39
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Ta qualité de vie se détériora ; tu avais perdu ton jardin, ton havre de félicité. Je ne te sortais que trois fois par jour. Le matin, avant de partir au travail; ça me dépitait car la corvée m'obligeait à écourter ma nuit. Or, je me donnais à fond dans mon travail, je me fatigais et j'aurais eu besoin de davantage de sommeil. Deuxième sortie: lorsque je rentrais du travail; ça m'énervait tout autant car je n'aspirais qu'à une douche tiède et à un bon whisky. Tu ne me faisais plus la fête car tu constatais amèrement que l'agacement s'était substitué à ma joie d'autrefois. La sortie te permettait de te soulager et je suppose que tu l'espérais depuis des heures. Il arrivait parfois que tu te sois oublié dans l'appartement et Edwige pîquait sa crise, me reprochait ta présence: " Ce sale chien a encore pissé sur le parquet! J'ai encore dû tout nettoyé! Quand t'en débarrasseras-tu?! " Je m'énervais à mon tour contre toi et pestai en te sortant. Je n'en pouvais plus. Et il fallait remettre ça avant de se coucher! Plus l'automne avançait et moins je supportais ces contraintes. La nuit longue et froide, la pluie, l'obligation de ramasser les crottes, de passer devant les clochards et leurs chiens dégoûtants vers lesquels je t'interdisais d'aller, devoir enfiler un imperméable, le retirer, t'essuyer les pattes avant de monter dans l'ascenseur... Pourquoi t'avais-je donc recueilli? N'aurais-tu pas pu sonner à la porte du voisin? Ces pensées qui ce soir m'effraient s'imposaient et constituaient un des signes avant-coureurs de notre rupture. Elles se renforçaient de façon pernicieuse, surtout quand de petits incidents, dont j'assume la responsabilité, se produisaient. Je n'en citerais qu'un: celui de cette hideuse nuit où, lassé et fourbu, je cédai aux avances d'Edwige et gagnai le lit double au lieu de te sortir une ultime fois. Nous te plantions dans le salon sans un regard. Doux début de nuit libertine gâché par un bruit et une odeur. " Non! " me lamentai-je; Edwige enfouissait son visage dans l'oreiller en répétant que c'était impossible. J'allumai la grande lumière: tu avais pissé sur le sol; pire tu avais eu la diarrhée! J'aurais dû te rassurer, te soigner; j'ai disjoncté et t'ai collé une raclée. Je t'ai attristé, épouvanté et blessé. Il s'agit d'une nuit que je voudrais oublier à jamais. Quand je suis retourné dans la chambre, mon courroux toujours vif, Edwige avait rabattu drap et couverture sur son corps nu et mince, ce corps pour lequel j'éprouvai de la concupiscence et qui m'indiffère désormais. Nous n'avons ni parlé ni dormi de la nuit. Mais le silence véhiculait sa requête infâme, pressant et puissante.
J'y accédai deux semaines plus tard. Nous touchâmes le fond.

Par un froid samedi de janvier, je m'habillai et nous partîmes sans Edwige qui m'embrassa tendrement et me remercia. Je réunissais toutes tes affaires ( panier, nourriture, jouets, produits d'entretien ) et les transportai d'un pas lourd et hésitant jusqu'à la voiture. Mes traits tendus trahissaient ma confusion comme ma décision trahissait notre amitié. Je revenai te chercher. Pour une fois, je t'emmenai en voiture. Tu sautais sur moi; je n'avais pas la force de te repousser. Tu étais heureux. J'étais honteux. J'allumai la radio, je montai le volume, une musique quelconque m'abrutissait. Dès que je t'apercevai dans le rétroviseur, je détournai les yeux; je te fuyai. Tu finis par te douter de quelque chose car tu émis tes petits sons gutturaux angoissés. Je faillis faire demi-tour. Mais non, j'irai au bout de ma démarche. C'était Edwige ou toi. Ce serait Edwige. Désolé, vieux, tu n'avais qu'à te faire plus discret. Je faillis emboutir une voiture arrêtée à un feu rouge. Je me ressaisis. Le film de notre existence commune voulut défiler, mais je l'interrompais net. Je luttais. Contre nos souvenirs. Contre mon humanité.

Après une heure de route, nous étions en campagne, au sud de Paris. J'examinai les panneaux indicateurs. Le refuge était fléché. Dernière ligne droite. Fin de notre aventure. Je coupai le moteur et nous descendions. Je portai tes affaires. Tu marchais à mon côté. Fidèle. Tu ne soupçonnais pas ma bassesse. Un barbu nous ouvrit la porte. Je n'aimai pas son regard désapprobateur. Tous me dévisagèrent ainsi. Je n'étais pas un monstre, que diable! Je me débarrassai juste d'un chien. Je leur avais téléphoné la veille. Contrairement à d'autres refuges, il leur restait un peu de place. Ils avaient voulu me dissuader; j'avais tenu bon, soutenu par Edwige qui m'encourageait, tandis que tu dormais dans ton panier, inconscient de nos sombres manigances. Tu marchais trop peu; tu avais grossi.

La masse des chiens aboyant t'excitait. Certains me scrutaient, espéraient que je les sorte de leur cage, vers un avenir meilleur. Je signai les papiers, me déchargeai de tes affaires, donnai ton carnet de santé, le regard fuyant, sachant que j'accomplissais une action vile. Absolument lâche et pathétique, triste pantin dépourvu d'âme et de scrupules, je n'osai pas me confronter à ton regard en te disant adieu. J'avais trop peur d'y lire ma fourberie et ton incrédulité. Je suis parti la gorge serrée, le ventre noué, mais soulagé. Tu étais sorti de ma vie. Ton abandon représente l'acte le plus bête et abject de toute mon histoire. Quelle erreur! Quel crime !

Le soir, Edwige déboucha une bouteille de champagne; nous étions libres et amoureux. Nous fîmes l'amour toute la nuit. Plus de chien. Plus de containtes ni de corvées. Liberté chérie. Ô combien je me trompais!

Il faut croire que tu restais dans un coin de mon cerveau et que ma conscience morale n'avait pas tout à fait disparu.
Tout s'enchaîna très vite.
En février, je commis une bourde monumentale au travail. Je fus licencié sans recours.
Mon avenir prometteur s'obscurcissait.

Dans la foulée, Edwige me quitta; elle ne voulait pas vivre avec un perdant. Juste retour des choses? Punition méritée? Elle me trahissait comme je t'avais trahi. Son coup bas m'estomaquait. Elle se moqua, m'annonça qu'elle partait vivre avec un diamantaire rencontré, vu et revu, pendant que je travaillais. La garce m'avait aveuglé. Cocufié. J'étais le dindon d'une farce sinistre et séculaire.

Je restai seul, isolé, coi, ridicule, à devoir assumer seul un loyer élevé et à meubler des journées sans travail. A ressasser passé et présent. A m'interroger sur l'avenir. A me remettre en question.

Ô Mathieu, Mon Ami, pourquoi m'avoir abandonné ici? Je souffre loin de toi, les journées sont longues; enfermé dans cette cage, j'attends ton retour. Je guette. Je sors si peu. Je me souviens d'un temps où nous courions à travers bois, où tu me serras quand une voiture manqua de m'écraser, où nous étions amis, où nous étions tout l'un pour l'autre. Je ne crois pas que tu ne reviendras pas. J'ai toujours eu confiance en toi. Même récemment, malgré tes méchancetés. Les hommes ici sont gentils avec moi, je m'amuse brièvement mais quotidiennement avec d'autres chiens. Mais c'est toi que j'aime, Mathieu. Je t'attends. J'ai toujours confiance en toi, Mon Ami.

Je me réveillai à cinq heures du matin après une nuit agitée, aux rêves violents et confus, en nage et l'impression d'avoir un marteau-pîqueur dans le crâne. J'avalai des cachets, je me douchai, je déjeûnai, je m'habillai. Je m'asseyai à la table de la cuisine. Je regardai par la fenêtre. Temps mitigé.

Soudain, mon pouls s'accéléra, je frissonnai et pleurai comme un gosse. La vérité me frappait de plein fouet !
Je m'étais conduit en salaud et en imbécile. Je t'avais trahi, toi, mon meilleur ami. Je m'étais fourvoyé. J'avais tout faux. Tu me manquais et je voulais te revoir, recommencer comme avant Edwige, avant Paris.
Mécaniquement, je me relevai, je recouvrai fierté, détermination et sagacité; je faisais quelques bagages,je me couvrai et dévalai les escaliers. Je m'engouffrai dans la voiture et refaisai le trajet à destination du refuge. Je me rappelai les événements de notre vie: adoption, promenades, football, fêtes, jeux... sans ordre mais avec une intensité extrême, avec la fougue de mon adolescence. J'accélérai. J'avais hâte de revivre de tels instants. Les bons côtés de ma personnalité resurgissaient. Pourquoi ce matin? Pourquoi pas hier? Ou demain? Ou dans un mois? Je n'en savais rien. Mais peu importait. L'essentiel était de nous retrouver. Je refusai de songer aux tristes jours et semaines précédant notre séparation, mon crime. Je ferai tout pour que tu me pardonnes et oublies, je te donnerai plus de temps et d'amour qu'avant. Rien ni personne ne se mettrait en travers de notre amitié. J'étais tombé plus bas que terre.Faut-il qu'un homme tombe si bas, trahisse et soit trahi, se perde, pour se relever? Je l'ignore.
Ce que je sais en revanche, c'est que je ne me relevai pas.

L'orage éclata au propre comme au figuré. Je sonnai au portail. Le barbu vînt m'ouvrir et me reconnût. Une ombre parcourût son visage. Pourquoi? Mes poils se hérissèrent, mais je ne pensais pas. Je le suivis jusqu'au bureau, celui-là même où j'avais signé mon acte diabolique. Deux autres bénévoles étaient là. Deux femmes. " Je viens rechercher Hugues, mon chien, annonçai-je avec un grand sourire. J'ai réalisé que j'avais tort. Ca va vous paraître bizarre, mais je viens le reprendre et m'occuperai de lui jusqu'à sa mort. Je l'aime. Où est-il? "

Mines consternées. Une des bénévoles, une jeune et jolie brunette, très nature, avec des tâches de rousseur et une queue de cheval, m'invita à m'asseoir. La vérité cruelle et imparable m'assoma. Je devais ressembler à un zombie. Céline me révéla que le vétérinaire avait euthanasié Hugues hier. Si seulement je m'étais décidé plus tôt. Hugues avait huit ans, les adoptants défilaient devant sa cage, s'arrêtaient parfois, mais l'âge déjà avancé les rebutait. La perspective de s'occuper d'un chien arrivé à la moitié de sa vie, d'un chien risquant de développer des maladies et de devenir une charge, les dissuadait, les incitait à opter pour un animal plus jeune. La fourrière avait appelé; ils avaient capturé deux chiens errants, âgés de deux ans et six mois. Eux aussi manquaient de place. Il avait fallu opérer un choix insupportable. Mais raisonnable. La logique implacable avait condamné Hugues et Rex, un chien de neuf ans. Après un débat crispé, les bénévoles désabusés avaient décidé de sacrifier Hugues et Rex. Cela aurait pu être d'autres chiens, parmi ceux âgés de plus de sept ans. Mais ça avait été ceux-là. Si seulement j'étais venu plus tôt! Ils étaient désolés, mais je pouvais toujours adopter un autre chien, si...
Je n'écoutai plus et m'enfuis sans dire " au revoir "; la pluie noyait mes larmes, mais pas mon chagrin. Je démarrai en trombe. Direction Paris. L'appartement. Une vie morose. Je pleurai, me maudissai, les maudissai, projetai de retrouver Edwige pour la tuer. J'écoutai les flashs d'information sans les entendre. Je maudissai le Monde, ses drames, ses catastrophes. Qu'ils brûlent tous en enfer! Mon unique drame me torturait. Je roulai trop vite, effectuai des dépassements dangereux, rétorquai aux appels de phare par des injures et des gestes obscènes.

Un jour! un malheureux jour qui annihilait tous mes espoirs de bonheur et de rédemption. J'étais condamné à porter la croix de ta souffrance et de ta disparition. Ô Hugues, Mon Ami, puisses-tu me pardonner de là où tu es.

Je t'imaginai extrait de ta cage trop petite et conduit sur la table d'exécution, ressentant le tourment des hommes et l'imminence d'un drame, ne comprenant l'horrible vérité que lorsque les sangles entravèrent ton corps, et que l'aiguille pénétra dans une de tes veines, pour répandre son poison. J'imaginai tes yeux affolés, tes soubresauts contrariés par la contention, puis ta résignation, ton regard triste qui se voile, puis s'éteint. Ta dernière pensée fut-elle pour moi, maître indigne et infect, méprisable créature honteuse d'être humaine? As-tu pensé à nos formidables randonnées en Chartreuse ou à nos algarades finales? Je ne le saurai jamais. Je suis mort moi aussi.
Je me suis enfermé dans cet appartement que je hais, j'ai fermé les volets, tiré les rideaux, j'ai allumé toutes les lumières, j'ai éteint mon portable et je me suis saoûlé avec du whisky bon marché.
J'ai songé à tes semaines au refuge, à la vie cloîtrée que je t'ai contraint à endurer, à ton désespoir, à tes espoirs, tes illusions et désillusions. Privé d'espace, tu devais tourner en rond comme un prisonnier dans l'attente du verdict, toi qui ne commis aucun crime. Dormais-tu la nuit? Avais-tu perdu l'appétit? Quelle importance maintenant que tu es mort? Où es-tu enterré? Je n'ai pas vu ta dépouille. Je n'y retournerai pas, je n'en ai pas la force. Comprends-tu l'absurdité de ce récit? Je te parle depuis mon troisième verre alors que tu n'es plus. Je parle à un mort. J'étais devenu un monstre, je deviens fou. Je ris d'un rire strident, de celui d'un homme désespéré, chez qui la raison vacille. Hugues, mon chien, mon ami, mon frère, les prochaines heures nous réuniront-elles? Si j'en ai le courage, je m'emparerai du couteau de cuisine et me tailladerai les veines. Si j'en ai le courage. Et je l'aurai. Triste fin.

Voilà ce qui aurait pu se passer. Heureusement ça ne s'est pas déroulé ainsi. Tu sais, Hugues, c'est impossible car à la maison, il n'y a que des vrais whisheys irlandais, pas de sous-produits. J'ai envisagé le pire pour mieux savourer le meilleur. Certaines histoires connaissent des fins heureuses. La notre en fait partie, Hugues.

Le barbu m'a ouvert et ses yeux bleu cerclés de petites lunettes ont illuminé son visage osseux. Je l'ai suivi jsqu'au bureau et j'ai exposé l'objet de ma requête. Céline m'a bien invité à m'asseoir et à détailler les raisons de ma volte-face. Je lui ai raconté notre histoire du début à la fin; ça l'a émue. C'est une fille comme elle qu'il me faudrait et je ne désespère pas d'en trouver une un jour.

J'appris de sa bouche sans rouge à lèvres que toi et moi avions une chance inouïe. En raison d'une recrudescence d'abandons, les acteurs du refuge avaient décidé de sacrifier deux vieux chiens au profit de deux chiots détenus en fourrière. Les sacrifiés étaient Rex, un corniaud de neuf ans, et toi, Mon Hugues. Un crève-coeur pour le refuge. Vous deviez subir l'euthanasie demain !

Je faillis défaillir et le barbu, Toine, me servit un café. J'avais senti le vent nauséabond du couperet, le souffle fétide de la faucheuse. Je m'effondrai et chialai comme une madeleine. Heureusement que j'avais recouvré mon humanité ce matin et pas demain matin! Hugues, mon chien, mon ami, mon frère, si tu étais mort avant que je ne revienne, le scénario funeste décrit dans ma tirade précédente se serait réalisé. Et nous serions tous deux décédés à l'heure qu'il est! Tous trois, devrais-je dire, Rex. Rex! Quel drôle de nom, pourtant si usité.

Quand je me sentis mieux, Céline me suggéra de la suivre. Je traversai le corridor des pauvres chiens aux destins brisés par l'égoïsme humain.

Nous nous arrêtames face à un box. A proximité des miaulements de la chatière. Je pleurai derechef en lisant le nom " Hugues ". Tu te ruas sur les barreaux, fou de bonheur et de candeur. Tu SAVAIS que je reviendrais. Céline ouvrit la porte et la force de ton bond et de ton amour nous jeta à terre. Tu léchais mon visage et mes larmes. C'était bon. Je t'enlaçai et nous nous roulions par terre. Mes vêtements se salissaient. Ca aussi, c'était bon. Les bénévoles nous applaudissaient. Ils pleuraient aussi. Enfin, je te retrouvai. Je me retrouvai. J'étais mort cet immonde matin où je t'avais conduit ici. Je ressuscitai aujourd'hui. Tu grognais. Je ne parvenai pas à articuler le moindre son sensé.
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14/10/2006, 13h41
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Ô Mathieu, Mon Ami, Tu es revenu; je savais que tu reviendrais, je n'ai jamais douté de toi, même au plus fort de mon désespoir. Je t'ai attendu. Tu t'es purifié. Je suis aussi heureux que le jour où, chiot balancé d'une fourgonette, j'ai frappé à ta porte.

Je ne sais pas combien de temps durèrent nos effusions. Nous nous calmâmes harassés. Vidés mais ensemble. Tu nous suivais au bureau, collé contre mes jambes flageolantes. Un second café me réchauffa, m'aida à reprendre mes esprits. Je signai les papiers, Toine ramena tes affaires. Mes entrailles se nouèrent à nouveau à la vue des objets chargés de notre histoire. Je serrai les mains, nous nous apprêtions à partir quand une idée s'imposa tout naturellement. Cette décision s'inscrivait-elle dans le cadre de ma rédemption? Dans le sens que je souhaite maintenant donner à ma vie ?

Je demandai à voir Rex. Nouveau passage au milieu des chiens en cage.
Box numéro 23. Rex. Un corniaud de taille moyenne à la robe grise parsemée de tâches brunes et beiges et aux grandes moustaches frisées. Etrange. Je t'intimidai, Rex. Tu flairas l'odeur de ma main à travers les barreaux. Céline te libéra. Tu étiras ta maigre carcasse et te lovas contre moi. Une vague de bonté me submergea. Tu ne mourras pas demain. Tu es avec moi. Hugues n'est pas jaloux. C'est un bon chien. Il apprécie ta compagnie.

En quittant le refuge, j'embrassai les bienfaiteurs et signai un gros chèque dont ils feront bon usage, j'en suis convaincu. Ils vous souhaitèrent bonne chance et m'exprimèrent leur confiance et leur gratitude. Je leur renvoyai le compliment.

Occupant les sièges arrière, vous vous racontiez des histoires de chiens et m'observiez conduire. Je jetai des coups d'oeil dans le rétroviseur pour vous contempler et m'assurer de votre matérialité. Je ne cessai de songer que vous l'aviez échappé belle, et le drame évité de justesse me persuadait d'aimer plus encore ce moment, de profiter du futur.

Je m'engageai sur l'autoroute. Direction Grenoble. Je rechercherai le reste de mes affaires ultérieurement. J'avais emporté le nécessaire et refusai de rentrer à Paris.

De bons morceaux de musique berçaient notre chevauchée vers les Alpes. Vers chez moi. Chez nous. Nous nous dégourdîmes sur des aires d'autoroute. Vous exhaliez le bonheur.

Je roulai à vive allure et nous parvînmes aux abords de Grenoble en fin d'après-midi. Hugues, vraie pile électrique, tu semblais reconnaître l'environnement que Rex découvrait. Nous supportâmes les embouteillages de la Porte de France dans la bonne humeur, longeâmes le quartier des pizzerias le long des quais, et entamâmes la montée vers le Sappey. La vue des paysages familiers et chéris dissipa mes douleurs de conducteur. Tout en me concentrant sur la route, j'admirai les sommets, le vert des prairies et le bleu du ciel, Grenoble en contrebas. Je respirai.Le cauchemar avait pris fin.
Je crois bien que Paris n'est pas la ville lumière. C'est le Sappey en Chartreuse.

Hugues, tu te complus dans la folie la plus joyeuse et candide en revoyant la maison. Ta maison dont je t'avais tenu trop longtemps éloigné. La portière ouverte, tu te propulsas pour franchir le portail et te lancer dans une cavalcade insensée sur la pelouse du jardin. Rex, tu attendis que j'ouvre ledit portail. Tes capacités athlétiques sont inférieures à celles de Hugues. Vos courses, vos simulacres de combats, vos aboiements me ravirent. C'est ça, la vie!
Mes parents sortirent, effarés. Ma visite les prenait au dépourvu.
" Je suis revenu, dis-je.
- Et Edwige?
- Qui est-ce? "
Le sujet était clos.

Ils m'avaient retrouvé, ils avaient retrouvé Hugues, et c'était tout ce qui comptait. Et Rex, tu fus évidemment adopté; dois-je le préciser?
Ce soir-là, je jouai avec vous, je vous lançai la balle à tour de rôle et vous me la rapportiez. Je goûtai à ces instants retrouvés. Demain, nous gravirons Chamechaude. Tout se normalise. Vous vous entendez bien, et ça me satisfait. Hugues, j'ai offert ta seconde panière à Rex; tu es d'accord? J'ai réinvesti ma chambre intacte avec émotion. Nous resterons ici pendant quelques jours, quelques semaines, le temps que je retrouve du travail, dans la région. En attendant, je vais vous consacrer du temps. Et de l'affection.

Je ne réitérerai plus les mêmes erreurs. Je tâcherai de conjuguer ma carrière et votre bien-être. J'y parviendrai. Et rien ni personne ne se mettra entre nous. Nous ne vivrons pas un deuxième cauchemar. Un seul suffit amplement.

Maman improvisa un festin auquel vous participâtes. Ce fut un moment fort. L'heureux dénouement d'un mauvais épisode. Rex, quelle fut ta vie? Je crois que tu en aimeras la seconde moitié. Les parents se sont couchés. Vous vous êtes assoupis. Je termine la deuxième bouteille de champagne. Est-ce bien raisonnable? Je m'en fiche. C'est la fête.

Hugues, je t'ai perdu. Je t'ai retrouvé. Rex, je t'ai trouvé.
Hugues et Rex, mes chiens, mes amis, mes frères.
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18/10/2006, 23h29
Merci d'en avoir modifié la fin car j'ai eu suffisamment de peine avec les précédentes
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19/10/2006, 01h39
rien n'a été modifié, l'histoire est telle qu'elle a été écrite par mon amis, pour une fois, il a écrit une fin heureuse... Smiley
Le problème, c'est que la fin est une fiction, le reste de l'histoire les refuges peuvent te la raconter tout les jours !
Smiley
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30/11/2006, 01h44
Ce matin, tu étais déjà debout, tu faisais les bagages et tu as pris ma laisse
Que j'étais content, j'en fremissez de joie... Une petite promenade avant les vacances !
On est parti en voiture, tu t'es arrêté au bord de la route, tu es descendus, ma portière s'est ouverte et tu m'as lancé un baton... j'ai couru, couru, je l'ai attrapé...
Mais ??? Quand je me suis retourné, tu n'étais plus là. Pris de panique, j'ai couru dans tous les sens pour te retrouver, mais en vain !
De jour en jour je m'affaiblissait.
Un homme s'est approché de moi, m'a mis une laisse et je me suis retrouvé en cage
C'est LA que j'ai attendu ton retour... mais tu n'es jamais venu
Un jour, la cage s'est ouverte, mais ce n'était pas toi.
C'était cet homme qui m'avait ramassé, il m'a conduit dans une pièce qui sentait la mort
MON HEURE ETAIT VENUE...

Cher maître, je veux que tu saches que malgré ce que tu m'as fais, c'est ton image qui me revenait avant mon dernier soupir et si je pouvais revenir sur terre,
c'est vers toi que je courrerais...

CAR JE T'AIMAIS
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30/11/2006, 07h01
[size=xx-small]Mag, pourquoi tu nous dis ça à nous ? Si on était prêts à abandonner nos chiens, on ne serait pas là... Et franchement moi ça me déprime, je n'ose même plus aller sur ce topic.... Mag... ici, on aime nos chiens... on n'est pas du genre à les abandonner... ALORS ? [/size] Smiley
__________________
[size=xx-small]Faisons tous classer nos chiens en classe 2[/size]
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30/11/2006, 11h58
il y a des gens qui ne postent pas mais qui lisent ! des non inscrits !!!
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30/11/2006, 13h03
Ah oui... je comprends... c'est pour les autres Smiley

[size=large]Hey, les non inscrits !!! N'abandonnez-pas vos chiens !!!![/size] Smiley

[size=xx-small]Parce que nous, ça nous déprime beaucoup....[/size] Smiley Smiley Smiley [size=xx-small]Et Mag aussi, ça la déprime....[/size] Smiley Smiley Smiley
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[size=xx-small]Faisons tous classer nos chiens en classe 2[/size]
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